Depuis bientôt sept ans, Susanne Geske vit seule en Turquie avec ses trois enfants suite à l’assassinat de son mari et de deux collègues. Dernièrement, les cinq suspects ont été libérés sans jugement. Retour sur un cheminement de pardon.
Peu de temps après l’assassinat de votre mari, vous avez affirmé dans les médias: «Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font». C’est impressionnant, mais la question demeure: cette déclaration venait-elle du fond du cœur?
Au moment où je l’ai dit, je ne faisais qu’obéir à Dieu. En effet, alors que la presse cherchait à prendre contact avec moi, j’avais la tête dans le brouillard. Je ne parvenais pas à avoir les idées claires. J’ai donc demandé à Dieu ce que je pouvais bien répondre. A ce moment-là, ce verset m’est venu à l’esprit et j’ai su ce que je devais faire. Cela venait effectivement du cœur, bien que le sentiment de pardon ne soit venu que plus tard.
Vos propos étaient dépourvus de rage ou de rancune. Comment était-ce possible?
Le fait que je n’aie jamais eu de pensée ou de sentiment de haine ou de vengeance est exceptionnel, un don de Dieu. J’avais un profond sentiment de paix par rapport à toute la situation et je suis persuadée que cette paix m’a été donnée par l’incroyable grâce de Dieu.
En fait, j’ai bénéficié de la promesse de Jésus rapportée dans Jean 14, 27: «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde donne.»
Comment avez-vous vécu les jours et les semaines qui ont suivi la mort de votre mari?
Dans le brouillard. Peu de choses ou de personnes me restent en mémoire. De nombreux visiteurs sont passés chez nous et cela m’a fait du bien de beaucoup parler, de ne pas être seule. Je passais le plus clair de mon temps à discuter et à prendre du thé avec les visiteurs pendant que d’autres s’occupaient de la maison et des enfants. Par ailleurs, le fait que tant de personnalités politiques et chrétiennes aient exprimé leurs condoléances était à la fois surprenant et touchant.
Qu’est-ce qui vous a permis de traverser cette expérience terrible?
J’ai beaucoup prié, chanté et, plus que tout, re-découvert la Bible. Je ne l’avais jamais autant lue et depuis, je la lis dans sa totalité une fois par an. Tous les matins, je lis également un ouvrage de méditation. La Bible est une lettre d’amour qui nous est adressée et qui nous réconforte, nous aide et nous conseille dans toutes les situations que nous vivons - et j’insiste sur le mot «toutes».
Y a-t-il eu des personnes qui vous ont soutenue et aidée?
Oh, oui, beaucoup! Les trois premiers jours, les voisins se sont occupés de tout: les repas pour environ quatre-vingt personnes le midi et le soir, le thé -c’est très important!- ainsi que des visiteurs et des enfants jusqu’à ce que mes amis puissent arriver des quatre coins de la Turquie. Ensuite, mes amis ont mis en place un planning pour que, durant les trois premiers mois, il y ait en permanence au moins deux personnes chez nous pour m’aider dans les tâches quotidiennes ainsi que dans les démarches administratives.
Comment voyez-vous le pardon et la réconciliation?
De la même façon que Jésus a pardonné mes fautes, je dois aussi pardonner à mes semblables. Dans un premier temps, le pardon est une décision consciente. Jésus lui-même a dit dans Matthieu 6, 15: «Si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses». Ce qui me venait aussi toujours à l’esprit est le principe «A moi la vengeance», dans Romains 12, 18-21. Nous devons laisser cela à Dieu. Dans la mesure du possible, je dois déclarer à la personne concernée que je lui accorde mon pardon et que je souhaite la réconciliation. Ce n’est pas toujours possible -comme dans mon cas- et il est parfois nécessaire d’avoir un peu de recul, mais nous devons cependant affirmer que nous pardonnons.
Avez-vous eu des contacts avec les assassins? Comment cela s’est-il passé?
Non, je n’en avais pas le droit. Cela aurait porté préjudice au déroulement du procès. Les choses se passent un peu différemment ici... mais pendant le procès, lorsque l’un ou l’autre d’entre eux se retournait, je leur faisais un sourire amical.
Comment avez-vous réagi à l'annonce de la libération des prévenus, en mars, suite à un changement législatif un mois plus tôt?
Nous avions connaissance du changement législatif et nous nous y étions préparés. Puisque je leur avais pardonné, je ne me suis pas révoltée. En revanche, pour mon fils, ce n’est pas la même chose puisque dans la culture locale, il est le chef de famille et doit préserver l’honneur de la famille. Il est harcelé par les autres jeunes. Ce jugement est une catastrophe. Toutefois, le fait que chacun des cinq assassins porte un bracelet électronique et soit placé en résidence surveillée a considérablement rassuré les Eglises.
Vous avez décidé de continuer à vivre en Turquie. Vos enfants seront bientôt adultes et ils quitteront le nid. Quels sont vos projets d’avenir?
A ce stade, je n’ai pas de projets précis sans les enfants, puisque ma benjamine a encore trois ans d’école à terminer. Mon aînée étudie à Ankara et mon fils fera une année d’orientation en Allemagne. Actuellement, je chercher à préparer mes enfants à voler de leurs propres ailes, et ensuite je verrai.
Propos recueillis par Rolf Höneisen, IdeaSpektrum